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Inès Leonarduzzi : La poésie comme un fil d’Ariane

Inès Leonarduzzi : La poésie comme un fil d’Ariane

Ines Leonarduzzi

Dans nos vies bien remplies Ines fait figure d’un ovni, cette femme engagée dans l’écologie qui distille ces conseils et son analyse sur notre époque est sans concession. A la tête de l’ONG Digital for the planet et de son propre cabinet de conseil en stratégie, autrice de Réparer le futur, elle met un point d’honneur à mettre la durabilité au sein de notre quotidien, mais derrière cette femme pleine d’énergie au petit air mutin se cache une grande poétesse qui sait vous toucher en plein cœur.

Rencontre avec une femme aux multiples talents.

Inès, vous avez un parcours très riche et multidimensionnel, allant de l’économie à la culture, en passant par le numérique responsable. Comment la poésie est-elle entrée dans votre vie ?

Elle en a toujours fait partie. J’ai le souvenir d’une brocante que je faisais dans le village dont je suis originaire en Normandie. Un homme voulait m’échanger trois casseroles en fonte contre un livre. Il m’a dit “c’est un beau livre, on n’en fait plus”. J’avais 11 ou 12 ans et j’ai craqué pour ce bouquin qui était un recueil de poèmes ancien du 19ème siècle. Je n’avais aucune compréhension de sa valeur, tout ce que je savais c’est que l’objet me plaisait beaucoup.

Ines Leonarduzzi

Enfant, j’ai écrit très tôt et j’écrivais des poèmes tout le temps, que j’offrais à des proches, à des inconnus mais surtout à ma mère. J’ai été publiée vers 8 ans, dans le Mickey Magazine et pour moi c’était une consécration !

La poésie, c’est un langage différent. On met ensemble des mots qui dans la rudesse du quotidien ne voudraient rien dire, alors que mariés ensemble dans un poème, ils touchent ce qu’on ne touche pas avec la raison.

Vos poèmes abordent des thèmes comme le devenir, l’amour et la nature. Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Je suis très sensible à la délicatesse, à la franchise et aux silences. Parce que les trois requièrent d’avoir du courage. Je m’inspire aussi de nos incohérences, de nos faillibilités. On a peur d’aimer parce qu’on redoute d’être rejeté un jour, on trouve la nature belle mais on ne sait pas ressentir à quel point elle nous est essentielle. Ce que le cerveau redoute le plus, c’est l’incertitude et pourtant, on n’est jamais sûrs de rien. J’essaie de poser un regard de femme sur l’ordinaire, qui devient extraordinaire dès lors qu’on accepte nos caractere impermanent de l’existence. Je suis par exemple très mal à l’aise avec l’idée d’immortalité, de sur-perfection. J’aime l’idée que je disparaîtrai un jour, que celles et ceux que j’ai aimés, y compris l’être que j’aime plus que tout, mon fils, disparaîtront aussi. Ça m’apporte un sentiment difficile à conserver d’humilité et d’ancrage dans le présent. Ce qui me fascine c’est la préciosité de nos fragilités. Je m’inspire aussi beaucoup des conversations anodines, de ce que j’observe dans la rue, dans une soirée, à un dîner. C’est Henri Cartier Bresson qui disait qu’il faut apprendre à voir. Toni Morrison, elle, écrivait qu’il faut apprendre à écrire ce que l’on a à dire”. J’essaie de mêler l’intime aux préoccupations sociales contemporaines dans mes écrits. L’intime a beaucoup à apporter au progrès. C’est pour cela d’ailleurs que certaines et certains cherchent à l’enfermer, le contrôler.

Comment voyez-vous le rôle de la poésie dans le monde contemporain, où les préoccupations sont souvent plus pragmatiques et technologiques ?

La poésie apaise. C’est un émollient pour le regard qu’on porte sur ce qui nous entoure. Je travaille depuis dix ans dans le milieu des nouvelles technologies et la manière dont on peut rendre les infrastructures et nos usages moins énergivores. La poésie m’a aidé à apporter à mes travaux un oeil différent : alors que beaucoup envisagent la technologie comme outils seulement, j’ai voulu proposer de voir la technologie comme un renouveau culturel. Et ce qui pose problème avec la technologie aujourd’hui, c’est le décalage entre les outils et la manière dont on les utilise. Il nous manque un nouveau contrat culturel. Des outils puissants sans bons usages, ça abime, ça ne construit ni ne répare rien. Il nous manque aussi le caractère sacré de la culture. Les infamies que l’on observe sur nos écrans, dans les fils d’actualité, sont rendues possibles par l’absence de sacré. Rien n’est justifiable, jusqu’à ce qu’on n’ait besoin de le justifier. Je ne parle pas de sacré sur le plan religieux, mais sur le plan esthétique.

Vous avez également une activité de conseil auprès de leaders et de personnalités publiques. Est-ce que votre sensibilité poétique influence cette partie de votre travail ?

Je compartimente quand cela est nécessaire. Mais bien-sûr, la poésie teinte ma personnalité, ma manière de penser. Elle me permet d’entrer plus en profondeur dans les préoccupations de mes client·e·s. Il y a toujours une part de sensible, de culturel dans l’aspect global des choses, même lorsqu’elles sont profondément techniques. Avoir accès à cette sensibilité, parvenir à la saisir rapidement, permet degagner du temps mais aussi elle me permet d’accéder à la confiance de mes clients. La plupart d’entre eux me laissent aujourd’hui carte blanche, quand ils me sollicitent. Ça veut qu’ils et elles savent que je les ai compris. C’est une marque de reconnaissance importante qui me tire vers le haut. Quand on me fait sincèrement confiance, je me dépasse. J’ai besoin de liberté pour donner le meilleur de moi- même.

A la tête de l’ONG Digital for the planet, vous mettez l’accent sur la pollution numérique et ses excès. Quelles sont vos engagements au sein de cette organisation ?

L’ONG a trois objectifs : produire des contenus de formation et enseigner à la jeunesse en Europe comment utiliser les outils numériques de la bonne manière de sorte à protéger l’environnement, leur cerveau et le vivre ensemble. Ça c’est ma priorité. Mais ça ne suffit pas, alors nous avons un deuxième volet important, le plaidoyer. Nous travaillons étroitement avec les gouvernements européens pour développer des politiques publiques plus justes et plus durables dans l’industrie des technologies numériques.

Vous êtes très engagée dans des causes humanistes et pour la jeunesse. Que voudriez vous changer dans notre monde ?

Les ressources, les richesses sont encore trop mal réparties. On peut dire que c’est mieux qu’avant, mais on est encore très loin du compte. Les inégalités génèrent la violence, la perte de confiance en soi et en l’autre. J’aime l’idée de la méritocratie mais elle n’existe plus vraiment. Les gouvernements manquent de courage politique, d’audace mais surtout ils manquent d’une vision qui rassemble et qui nous poussent à regarder plus haut et plus loin, bien au-dessus des passions collectives court-termistes. Cela coûte le bonheur des gens, l’innocence et l’insouciance des jeunes. En tant que personne ça m’affecte énormément. J’ai le cœur lourd, comme des milliards de gens je ne suis pas sereine. Si on travaille déjà sur ça au cours de ce siècle, ce sera déjà immense, je pense.

Vous avez été distinguée comme l’une des personnalités les plus influentes de France (source Forbes US 2018 et Forbes France 2022) et comme une leader de demain par de nombreux médias. Votre ONG a aussi été de nombreuses fois primée en France et à l’étranger. Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux jeunes ?

De lire, de lire des classiques et puis des auteurs contemporains. De se méfier des contenus gratuits sur Internet ; certains sont excellents, d’autres complètement erronés, j’en vois quotidiennement. C’est d’autant plus effrayant que la parfaite intox, aujourd’hui, est un mélange de vérité scientifique et d’absurde, dans un même post, dans une même vidéo. Chat GPT et consorts artificiels délivrent des informations très justes mais aussi de grandes aberrations, et avec le même aplomb. J’aimerais transmettre un message de vigilance et de discernement.

Vous lancez en ce début d’année un podcast de mini-conférences sur Substack, Inès en Liberté. Vous pouvez nous en dire plus ?

Inès en Liberté est un média sur lequel je travaille depuis plusieurs mois. J’ai mis du temps à trouver la formule juste mais aussi et tout simplement à oser. Ce sera un vrai accès à ce que je fais au quotidien, un mélange de mini-conférences, de poésie, de lectures de livres, et de choses plus légères aussi, parce que je ne suis vraiment pas toujours sérieuse.

Enfin, votre premier roman paraîtra dont le titre n’a pas encore été révélé, paraîtra courant 2025. Quelle place la poésie occupe-t-elle dans cette nouvelle aventure littéraire ?

La poésie est en filigrane tout au long du récit, mais ce roman fait surtout la part belle à l’épopée d’une jeune femme qui, évoluant dans une famille violente, apprend à soigner les animaux. Un jour, elle devient mère. L’histoire vogue entre onirisme et réalité sociale. J’ai tenté d’exprimer dans ce roman une manière de traduire la colère et l’effroyable, pour mieux les dépasser.

Roman Editions JC lattes

@inesleonarduzzi

PHOTOGRAPHE: Sandra Fourqui @sandrafourqui

MakeUp & Hair: Aziza @azizamakeupartist

Crédits stylisme : Giorgio Armani, Joaillerie Statement.


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