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Cathialine l’ensorceleuse

Cathialine l’ensorceleuse

Cathialine, une artiste à part qui s’est démarquée avec son premier album « Workship the weakness » sorti en 2016, elle sera de nouveau sous le feu de l’actualité avec son nouvel opus « Humanimal » dont elle dévoilera un premier extrait à l’automne. Coup de cœur pour cette artiste hors du temps et des carcans de la musique actuelle. A découvrir absolument….

  • Votre musique nous fait voyager dans le temps, nous sommes transportés par votre voix qui V nous amène dans un monde parallèle, imaginaire, mais aussi par une orchestration majestueuse, n’est-ce pas ce que l’on attend de la musique ? Qu’elle nous amène dans des endroits inconnus ? Quand je débute la construction d’un disque, c’est comme déambuler dans un labyrinthe : tous les chemins s’offrent à moi et je ne sais pas où ils me mèneront. Une prémonition, une tentation précèdent néanmoins cette mise en route, mais sans être très clairs. C’est très excitant de découvrir ce dont mon cœur et mon corps ont envie de parler, au fil du travail d’écriture et de composition. Et le but ultime est bien-sûr d’emporter les auditeurs avec moi dans ces lieux qui m’étaient inconnus. Mais encore plus que l’inconnu, ce qui m’intéresse c’est d’essayer de créer quelque chose qui me dépasse. Le poète américain E.E. Cummings a écrit « la fonction de l’amour, c’est fabriquer de l’inconnaissable »,c’est précisément ce que je pense de la musique.
  • Pouvez-vous nous faire rentrer dans votre monde et quelles en sont les clefs ? Il y a d’abord des échos constants de musiques classiques qui flottent dans ma tête, des lignes de violoncelle et des mélopées anciennes. Et s’entrechoquent en même temps, la violence de mes émotions terriennes et des sujets qui m’animent. C’est un mélange de musique de chambre, de chant de sirènes et de mots dont le sens véritable est à découvrir (ou pas) entre les lignes.

 » C’est très excitant de découvrir ce dont mon cœur et mon corps ont envie de parler, au fil du travail d’écriture et de composition. »

  • Vous avez un parcours atypique : avant de sortir 1 EP et 2 albums, vous avez participé à de grands spectacles musicaux comme le Roi Soleil ou le Petit Prince et vous avez pris le risque de tout lâcher pour composer votre propre musique avec votre sensibilité, c’était quand même un choix audacieux. Se lancer dans un projet artistique personnel quel qu’il soit est toujours un pari audacieux, d’où que l’on vienne. Les chansons de mon 1er EP « Live Ferber Sessions » et celles de mon 1er album « Worship the Weakness » étaient en germination depuis très longtemps, bien avant de tenir un rôle dans ces spectacles. Tout s’est tissé en parallèle et certaines personnes rencontrées lors de ces créations ont été importantes pour la construction de ma partition personnelle. Le besoin de développer mon propre chant, mon propre horizon musical est plus fort que tout. C’est vrai que mon tempérament est très éloigné des styles musicaux de ces spectacles, mais le choix d’assumer une posture artistique aux antipodes, ne m’a jamais paru « risqué ». Il m’est impossible de faire autre chose que ce que je suis.

  • On parle d’une connexion organique entre vous et le violoncelle,
    comment s’exprime-t-elle ?
    Comme toutes les passions, celle que j’ai pour le violoncelle est inexplicable. Il est pour moi une seconde voix. Je le ressens comme le prolongement de la mienne et c’est pour ça que je le fais autant chanter que moi dans mes chansons, comme dans mon 1er EP « Live Ferber Sessions », pour lequel j’avais choisi une formation de 6 violoncelles et une contrebasse pour m’accompagner. Et puis bien-sûr il y a eu cet « accident de parcours » quand j’ai découvert que j’avais une réaction épi- leptique à certaines fréquences sonores. Aucune anomalie physiologique n’a été détectée et aucun traitement traditionnel n’a d’ailleurs fonctionné. C’est une méthode singulière de soin par l’écoute de musiques classiques à l’équalisation modifiée qui a contribué à appréhender le problème. Et le son du violoncelle spécifiquement s’est avéré être bénéfique et apaisant. Mais je ne crois pas au hasard et cette particularité m’a permis de développer une couleur musicale qui me fait totalement vibrer. Si la réincarnation existe, je reviendrai en violoncelle, c’est sûr !
  • Pouvez-vous nous donner votre avis sur la condition des femmes dans l’univers musical ? J’ai mis beaucoup de temps à identifier les différences de traitement entre les hommes et les femmes dans le domaine musical, parce que comme nombre de femmes, je les avais intégrées comme « faisant partie de notre condition de femme-artiste ». Il y a d’abord, à mon sens, cette perpétuelle dictature du sexy qui m’a toujours mise très mal à l’aise quand on sent qu’elle est imposée à certaines artistes. Je vois notre métier comme un moyen de chercher, de créer puis de véhiculer des émotions via la musique, pas d’exhiber son anatomie. Mais heureusement, je n’ai pas un physique «à la mode» et je crois que ça m’a sauvée, car on ne m’a jamais poussée à jouer la carte du sexy. Il y a aussi un côté paternaliste chez certains hommes dont les propos faussement protecteurs, en réalité, nous rabaissent et nous inhibent. Mais tout ça est en train de changer. A vrai dire, c’est surtout dans la vie de tous les jours, que je prends de plein fouet la réalité de ce qu’être une femme implique. Le métro, la rue peuvent devenir une jungle, et il faut sou- vent renoncer à sortir un peu tard, ou mettre telle ou telle tenue ou encore soutenir certains regards. Il faut arriver à détricoter les réflexes et les conditionnements et je crois profondément que c’est aussi un travail à faire entre femmes. Il y a beaucoup de compétition, de jugement entre nous, et nous devons prendre conscience de l’importance cruciale de la solidarité et de la bienveillance féminines. Je trouve ces valeurs extrêmement puissantes et je suis certaine qu’elles sont l’une des voies d’entrée d’un vrai changement de société.
  • Votre premier album » Worship the weakness » sorti en 2016, n’était-il pas une forme de thérapie pour vous ? Ce disque est le fruit de tout ce que j’avais emmagasiné dans l’acte 1 de ma vie, l’idée d’un exutoire est donc inévitablement présente mais je ressens cet album studio davantage comme un exercice d’émancipation. J’avais besoin avant tout, d’affirmer au cœur des thèmes abordés, cette notion de fragilité et même de faiblesse qui me constitue. Je me sens à mille lieues des images de « femmes fortes » de notre imagerie contemporaine, comme si être une « femme puissante » implique nécessairement une part d’outrance, de provocation ou d’exhibition. Et puis, j’aime la dentelle plutôt que le cuir, le pastel plutôt que le color block, et cela se traduit pour moi musicalement par des orchestrations très « musique de chambre », une couleur que je revendique avec un immense bonheur. Et, c’est aussi avec l’album live « Rue Charlot, live au cœur de Paris », sorti il y a un an et dans lequel je suis entourée par une formation « septuor à cordes et vibraphone-percussions », que j’ai pu mettre en avant, cette force vibratoire des instruments classiques, indispensable à ma vie.
  • Pourquoi ce désir d’écrire en anglais ? la langue française vous effraie-t-elle ?
    C’est une considération avant tout musicale et sensorielle, l’anglais m’a paru être le vecteur parfait des textures acoustiques dont j’avais envie pour mes mélodies. Son pouvoir onirique est aussi très fort. Et puis, une langue ce n’est pas simplement des mots porteurs de sens, c’est aussi un imagi- naire et un climat sonore. Il y a autant de signaux à capter dans ce que nous comprenons que dans le spectre musical insaisissable d’une langue. Une langue est pour moi un instrument, non substituable. Et puis il y a l’intraduisible, ce qu’on ne peut dire que dans certaines langues et pas d’autres. Ce que j’avais à dire dans mes chansons à ce moment-là, devait être exprimé en anglais.

 » Si la réincarnation existe, je reviendrai en violoncelle, c’est sûr! »

  • Dans votre nouvel album qui paraitra début 2020, vous nous confiez avoir écrit en français sur des sujets très personnels tels que : l’animalité, le désir, la nature, mais aussi la maternité et le viol, pouvez- vous nous en dire plus ? Avec ce nouveau disque, j’avais le désir d’un engagement terrien, charnel et rugueux à travers des sujets plus bruts. Une obsession inondait mon cerveau : celui du rapport entre l’être humain et le monde animal, qui me semble être l’une des clefs de nombreuses dysharmonies sociétales. Et le français s’est naturellement imposé. J’ai travaillé sur l’aspect plus concret de la langue française pour l’attirer vers des contrées plus abstraites et illogiques. Et en utilisant un vocabulaire correspondant directement à mon expression naturelle : j’aime les tournures littéraires désuètes, la poésie des mots oubliés et les associations d’idées surréalistes. J’ai mis toute mon énergie à fuir le joli pour tendre vers la vérité de mes sentiments. La bestialité de la vérité contient une part de beauté dans ce qu’elle fait naître une partie de nous au monde, et cette naissance dans les yeux des autres, est un premier pas dans l’acceptation de soi, de son passé, de son expérience présente et de ses aspirations.
  • On vous sent très impliquée dans les questions environnementales, la lutte permanente de la civilisation et de la nature, quel est votre point de vue sur notre société moderne ? Il est difficile de ne pas se sentir pour le moins impliqué, sinon en partie responsable du bouleversement climatique à l’œuvre. Après une phase de prostration et d’angoisse face au constat établi par les scientifiques sur l’état de la planète et sur son avenir, j’ai perçu ce tournant comme une opportunité unique pour l’être humain, même si bien malheureusement, ce sont les règnes animal et végétal qui en font les frais avant nous. A quoi nous invite finalement ces perspectives ? A retrouver l’essentiel : à déconstruire les schémas individualistes, à se poser les bonnes questions sur nos besoins réels et à nous libérer du système de consommation qui fait de nous des êtres en frustration permanente. Toutes ces logiques ont échoué. Il est temps, je crois, de revoir notre intégration à la nature et de cesser de vouloir s’en dissocier. Cette révolution à laquelle nous devons tous participer, est, j’en suis convaincue, une occasion inouïe de faire émerger le meilleur de notre humanité et nous le pouvons absolument, tous, chacun.
  • Suivez cathialine @cathialineofficial
  • www.cathialine.bandcamp.com
  • Photographe: Sandra Fourqui
  • Stylisme: Karine Martins
  • Make-up: Aziza
  • Coiffure: Karmen Seffer


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