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Anne-Cecile Mailfert nous présente La fondation des femmes

Anne-Cecile Mailfert nous présente La fondation des femmes

Vous avez certainement déjà croisé Anne-Cécile Mailfert lors d’une émission à la télé sur le droit des femmes et la violence à leur encontre. Vous ne voyez pas ? Pas d’inquiétude, vous la croiserez à nouveau car malheureusement, les féminicides sont en pleine expansion en France. Depuis le début de l’année 2019, les statistiques ont augmenté par rapport à celles de l’an dernier : un peu plus de 2 femmes ont été tuées sous les coups de leurs conjoints ou ex-compagnons tous les deux jours. En 2018, c’était tous les 3 jours. Soit : 97 femmes mortes par strangulation, à coups de couteaux, de poings ou encore brûlées depuis janvier 2019. Des crimes passionnels ? Non ! Des assassins, ivres de voir leur pouvoir diminuer, leur proie leur échapper, qui tuent leur compagne dans un acte de toute puissance ultime. Il existe pourtant déjà quelques solutions, des lois à mieux faire appliquer comme le bracelet électronique, un équilibre des pouvoirs à réinventer, des formations à mettre en place, toute une nomenclature dans la sphère privée et publique à changer et les mentalités à faire évoluer. Si la Fondation des Femmes, devenue incontournable dans le paysage français, détient le rôle de fédérer et de redistribuer l’argent qu’elle récolte aux diverses avancer le problème, grâce à un contact direct et empirique avec les forces agissantes de terrain. Un mot d’ordre ? Il y a urgence. Alors mêlons nous de ce qui, croit-on, ne nous regarde pas.

 » Les femmes qui meurent: 130 par an sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. »

  • Pouvez-vous nous présenter la fondation des femmes ? C’est la fondation de référence en France pour les droits des femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous récoltons des dons afin de soutenir matériellement, financièrement et juridiquement les actions du programme les plus impactantes, pour permettre plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Par exemple, l’organisation cette année au Grand Palais, d’une course solidaire  » La nuit des relais « , pour récolter des fonds et les redistribuer à certaines associations partout en France, afin d’offrir à 15 000 femmes qui ont besoin et qui ont subi des violences, des séances de reconstruction psychologique et physique ( du yoga et de la danse thérapie).
  • Que disent les chiffres ? Les violences faites aux femmes en France sont à un niveau très importants : Plus de 200 000 victimes de violences de la part de leur conjoint ou petit-ami, chaque année. Nous le savons grâce aux sondages et aux retours des numéros nationaux verts des victimes de violence conjugale. 80 000 femmes sont victimes de viols ou de tentatives de viols par an, en France. Il y a aussi les femmes qui meurent : 130 par an sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Face à ça, des lois existent et des associations sont en place. Avant l’arrivée de la Fondation des Femmes, ces associations et initiatives étaient très petites et sans beaucoup de moyens. Les femmes victimes de violences doivent attendre plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous et seront reçues dans des endroits pas toujours adaptés, pour recueillir leur parole dans l’intimité. Nous avons voulu travailler pour l’amélioration de l’accès à leurs droits.
  • Quand une femme peut-elle faire appel à vous ? Nous sommes derrière les associations partout en France. Si une femme est victime de violences ou de tous types de discriminations et nous contacte, nous la redirigeons d’abord vers l’association la plus proche de chez elle. Nous n’allons pas directement lui fournir cette aide. Nous l’aidons ensuite à lui trou- ver une aide juridique et associative, près de chez elle. Nous sensibilisons le public, collectons des fonds auprès du plus grand nombre via des événements, des campagnes et des partenariats avec des entreprises, et les redistribuons à nos partenaires, les associations qui sont sur le terrain.
Photo: Sandra Fourqui
  • Collaborez-vous avec les forces de l’ordre ? Nous avons une force juridique de plus de 150 avocates et avocats qui soutiennent le travail des associations, partout en France. Dès que l’une d’elle dit qu’une femme a besoin d’un accompagnement, nous pouvons déployer un avocat. Elles sont plus fortes parce que nous sommes là pour leur donner un soutien financier ou juridique. Chacune de nos associations partenaires nous remonte les problématiques sur lesquelles améliorer les choses politiquement. Nous avons rencontré la Ministre de la Justice, Mme Belloubet en mars, pour améliorer des ordonnances de protection pour les femmes. Nos avocates ont travaillé sur un certain nombre de propositions partout en France, pour les lui transmettre afin qu’elle comprenne quelles étaient les difficultés rencontrées par les femmes en ce moment et qu’elle puisse intervenir. On a une bonne écoute. Elle a immédiatement mis en place certaines de nos recommandations.
  • Et avec la justice ? Nous n’avons pas encore entamé de travail avec la police, mais nous allons faire la même chose. Nous espérons rencontrer bientôt le Ministre de l’Inté- rieur pour lui faire part de propositions. Nos associations partenaires peuvent parfois avoir de très bons liens avec la police locale, comme la Maison des Femmes de Saint-Denis que l’on soutient. Elles ont pu faire un partenariat avec le Commissariat et plusieurs fois par semaine, des policiers viennent prendre les plaintes directement à l’association.
  • Avez-vous des profils types de femmes auprès de qui vous intervenez ? Les violences faites aux femmes touchent tous les milieux sociaux. Parmi celles tuées depuis le 1er janvier, il y a des Cheffes d’entreprises, des femmes de médecins, des femmes de ménages. Les associations viennent plutôt en aide aux femmes avec moins de ressources. Celles victimes de violences qui ont des ressources, vont plus facilement savoir comment fonctionnent les institutions et connaitre quelques avocats. Elles vont di- rectement se défendre ‘un peu toutes seules’. Le public des associations est en grande majorité, des femmes sans emplois et pour lesquelles faire face aux violences seule, est beaucoup plus compliqué. Les conjoints violents poussent leur femme à arrêter de travailler, donc elles n’ont plus d’argent et sont beaucoup plus vulnérables.

 » La justice est souvent très lente. Si votre conjoint est violent et veut vous tuer, on ne va pas attendre deux ans. »

  • Que pensez-vous du mouvement Me Too et avez-vous senti un Avant/Après ?
    Ça a vraiment été une vraie révolution sociétale, c’est assez hallucinant ce qu’il s’est passé. Il y a eu cette énorme prise de paroles des femmes, une écoute qui n’était pas là avant. On a accepté tout à coup de les écouter. On voit aujourd’hui beaucoup d’entreprises qui se disent, au regard des changements dans l’opinion publique, qu’il est impossible de passer à côté de ce sujet. Elles souhaitent s’engager et nous contactent en nous demandant comment faire pour soutenir des actions. C’est notre expertise, nous pouvons leur dire comment faire du mécénat.
  • Et qu’est-ce qui n’a pas bougé ?
    Au niveau des institutions. Il n’y a pas eu une révolution dans l’accueil des femmes dans les Commissariats, ni au niveau de la justice, ni dans la prise en compte politique du sujet. C’est assez étonnant parce que l’opi- nion publique a vraiment été très choquée. Le taux de pénétration de Me Too est hallucinant, surtout pour un hashtag féministe et en anglais. Ça a pourtant touché la majorité des Français.
  • Quelles mesures politiques vous aident ?
    Ça fait une dizaine d’années que des plans sur les violences faites aux femmes, ne sont pas mauvais : la mise en place des ordonnances de protection sont plutôt un bon outil. On demande au Juge aux Affaires familiales de nous protéger tout de suite, parce qu’on est en danger. La justice est souvent très lente. Si votre conjoint est violent et veut vous tuer, on ne va pas attendre deux ans ! Le problème est la manière dont c’est appliqué aujourd’hui. Le bracelet électronique sur conjoints très menaçants a été voté il y a des années, mais n’a encore jamais été mis en place. Il sera expérimenté pendant encore trois ans et enfin appliqué partout. Ça existe en Espagne depuis une dizaine d’années, jamais aucune femme n’est morte avec ce dispositif.
  • Pourquoi cela prend tant de temps en France ? Quand il y a un fait-divers avec une réaction politique et des articles dans les journaux, on dit que l’on va faire une loi. Mais comment est-ce appliquée par les services, partout ? Les juges font ce qu’ils veulent en France. Certains trouvent que l’ordonnance de protection ne sert à rien. Il y a des territoires dans lesquels on est très bien protégées et d’autres, pas du tout. Ce n’est pas normal.
  • Comment se défendre contre le sexisme et le prouver, sur son lieu de travail ?
    Le sexisme est interdit dans le code du travail; assez en avance sur ce sujet, lequel définit ce qu’est un agissement sexiste. Il permet de sanctionner un salarié qui agit de manière sexiste. Ça peut être un motif de licenciement. Il faudrait relire exactement la définition de l’agissement sexiste, mais malheureusement pour tout ce qui est : insultes, violences ou autres, il y a toujours cette problématique de la preuve. Mais la plupart du temps, il y a un faisceau d’indices, des comportements inappropriés répétés, des preuves physiques. C’est beaucoup plus facile pour les entreprises à sanctionner. Il a récemment été interdit de mettre des images pornographiques derrière son bureau. Tout harcèlement sexuel est souvent répété, il n’y a pas qu’une victime. Ce sont souvent des profils d’hommes se pensant en totale impunité et qui vont systématiquement importuner par exemple, de jeunes stagiaires. Quand on veut voir les choses, on y arrive.

 » les violences faites aux femmes en France sont à un niveau très important: plus de 200 000 victimes de violences de la part de leur conjoint ou petit-ami, chaque année. »

  • Et pour les femmes agressées physiquement ou verbalement dans le métro et dans la rue, que peut-on faire ?
    Il existe aujourd’hui dans l’espace public, la contravention. Encore faut- il qu’un agent l’ait vu, comme quand on grille un feu rouge. C’est un des problèmes de ce dispositif. Ça n’est pas toujours facile de prouver que l’on a porté atteinte à votre intégrité. Le sujet des preuves est récurrent dans tous les délits.
  • Quel rôle les hommes ont-ils à jouer selon vous ? Hyper important ! Si les hommes comprennent que ces comportements là ne sont plus possibles, il ne manque qu’une volonté de la part des concernés d’arrêter de se comporter comme ça. Ça a l’air simpliste et utopiste mais ça ne l’est pas. Si les hommes d’aujourd’hui qui sont sensibles au sujet prêchent la bonne parole à leurs fils, leurs copains, leurs neveux, leurs élèves ou auprès des jeunes qu’ils coachent, si la parole des hommes change aussi dans ce que l’on attend d’eux en terme de virilité, s’ils arrêtent toutes ces comparaisons entre une femme et une proie (Je vais la chopper/Je vais l’attraper) notamment sur les réseaux sociaux, ça peut changer. On est dans un imaginaire d’un homme qui doit attraper, conquérir. On peut très bien collectivement se dire que ce n’est pas comme ça que l’on séduit les femmes. L’important est une société dans laquelle il y a la paix entre les femmes et les hommes et que les droits des femmes et leur intégrité physique, ne soient pas mises à mal.
  • Quel problème lié à ça, rencontrez-vous ? Nous sommes derrière les associations partout en France. Si une femme est victime de violences ou de tous types de discriminations et nous contacte, nous la redirigeons d’abord vers l’association la plus proche de chez elle. Nous n’allons pas directement lui fournir cette aide. Nous l’aidons ensuite à lui trou- ver une aide juridique et associative, près de chez elle. Nous sensibilisons le public, collectons des fonds auprès du plus grand nombre via des événements, des campagnes et des partenariats avec des entreprises, et les redistribuons à nos partenaires, les associations qui sont sur le terrain.
  • Pourquoi cela prend tant de temps en France ? Le problème que nous avons, nous, associations féministes et Fondations des Femmes, sommes en majorité des femmes. Les hommes ont plus de mal à nous croire. Quand c’est un autre homme qui parle, c’est beaucoup plus fort. Quand un homme dit à ses copains qu’ils déconnent et brise cette camaraderie virile pour se poser en défenseur et dire «Je ne suis pas d’accord avec ce qui est en train de se passer !» C’est un message très fort et beaucoup plus convaincant malheureusement, que celui des femmes et des féministes. Moi, j’aimerais bien qu’ils nous prennent juste au sérieux.
  • Quel est votre lien avec Marlène Schiappa et a t-elle aidé à changer un peu les choses ? Nous discutons de temps en temps avec son Cabinet, mais nous sommes une fondation et notre objectif est vraiment d’agir sur le terrain. On est en discussion avec les pouvoirs publics pour faire passer des choses mais on se concentre sur le travail des associations et comment les soutenir pour qu’elles soient plus efficaces et viennent en aide à plus de femmes.
  • Vous faites des formations pour sensibiliser sur tous ces sujets ? Nous organisons le concours d’éloquence du droit des femmes, le prix Gisèle Halimi, qui a été remis le 7 septembre à la Maison de la Radio à Paris. Plusieurs femmes ont pris la parole, c’était très sympa. On peut aussi venir chausser ses baskets et courir pour le Droit des femmes comme nous l’avons fait le 25 novembre au Grand Palais. Nous organisons régulièrement des événements, sinon c’est du bénévolat. On ouvre une cité de l’égalité des droits des femmes dans le 6è avant la fin de l’année ! Un énorme projet de 1000 m2 avec des conférences et des expositions pour faire rayonner nos idées. Nous pourrons y accueillir tous les parisiens et parisiennes pour expliquer et montrer le monde de l’égalité auquel on aspire.
  • Pouvez-vous nous citer quelques associations avec lesquelles vous collaborez ?
    L’année dernière, il y a eu un énorme problème avec Me Too et l’Association contre les violences faites aux femmes au travail. Leurs cinq juristes se sont vite retrouvés débordés par des dossiers de femmes voulant agir vite. La collecte de fonds que nous avons mise en place, a permis la réouverture du standard et d’augmenter sa capacité. Nous aidons aussi les femmes à se reconstruire après des violences et finançons actuellement un superbe projet ‘LOBA’, pour aider les femmes victimes de trauma- tismes physiques (dont viols). Elles ont parfois du mal à s’exprimer par des mots. Grâce à un atelier de danse collectif, elles s’exprimeront par le corps. Il y a aussi un groupe de paroles avec la psychologue. 15 000 sessions destinées à 15 000 femmes ont été financées en 2019. C’est hyper important pour nous de penser à l’après violences. Comment se reconstruire… parce que notre vie n’est pas finie.
  • Eloise Maillot Nespo

fondationdesfemmes.org • Violence aux femmes : 3919



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